Presque un an jour pour jour après l’adoption du décret du 7 mai 2012 modifiant le Code de déontologie médicale, la première chambre civile de la Cour de Cassation vient de donner une première interprétation de l’article 64 dudit code qui dispose que :
« Lorsque plusieurs médecins collaborent à l'examen ou au traitement d'un malade, ils doivent se tenir mutuellement informés ; chacun des praticiens assume ses responsabilités personnelles et veille à l'information du malade ».
En l’espèce, les faits concernaient une jeune femme qui, peu de temps après son accouchement, fut victime de violents maux de tête.
Bien que placée sous la surveillance d’un gynécologue obstétricien, c’est le médecin anesthésiste du service qui fut appelé au chevet de la patiente pour soulager ses céphalées.
Celui-ci lui prescrivit alors un neuroleptique qui s’avéra dépourvu du moindre effet, la patiente souffrant en réalité d’une phlébite cérébrale.
Reconnu coupable d’une erreur de diagnostic, le gynécologue obstétricien fut condamné à réparer le préjudice de la victime à hauteur de 80% et son action en garantie contre le médecin anesthésiste fut rejetée.
La Cour d’appel de Dijon a, en effet, estimé que le diagnostic de phlébite cérébrale incombait bien au gynécologue obstétricien, seul responsable de la surveillance des suites de l’accouchement et de leurs conséquences éventuelles.
Contre tout attente et prenant à l’inverse de la Cour d’appel, la Cour de cassation a considéré que « l’obligation de tout médecin de donner à son patient des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science emporte, lorsque plusieurs médecins collaborent à l’examen ou au traitement de ce patient, l’obligation pour chacun d’eux, d’assurer un suivi de ses prescriptions afin d’assumer ses responsabilités personnelles au regard de ses compétences ».
Appelé pour soulager les troubles de la patiente, l’anesthésiste aurait donc dû se tenir informé de l'effet de son traitement sur les douleurs de cette dernière afin de déterminer, le cas échéant, avec le médecin chargé du suivi post-accouchement, leur origine et d'établir ainsi un diagnostic plus précoce.
Elle estime donc logiquement qu’en ne recherchant pas, dès la survenance des céphalées, leur origine, l’anesthésiste n’a pas fait preuve d’une attention suffisante ; sa négligence ayant conduit à un diagnostic tardif de l’affection développée par la patiente.
Cet arrêt s’inscrit dans la lignée d’une précédente décision, également rendue par la première chambre civile, au terme de laquelle celle-ci avait considéré qu’il incombe au médecin ayant réalisé un acte médical à la demande d'un confrère d'informer ce dernier, par écrit, de ses constatations, conclusions et éventuelles prescriptions (Civ. 1re, 29 novembre 2005, n° 04-13.805).
Les juges vont aujourd’hui plus loin puisqu’ils considèrent qu’au delà de cette seule information, il incombe aux professionnels de santé participant à la prise en charge d’un même patient de se tenir informé des suites de leur intervention afin de pouvoir en tirer toutes les conséquences médicales.
Vu l'article 1147 du code civil, ensemble l'article 64 du code de déontologie devenu l'article R. 4127-64 du code de la santé publique ;
Attendu que l'obligation de tout médecin de donner à son patient des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science emporte, lorsque plusieurs médecins collaborent à l'examen ou au traitement de ce patient, l'obligation pour chacun d'eux, d'assurer un suivi de ses prescriptions afin d'assumer ses responsabilités personnelles au regard de ses compétences ;
Attendu que, pour rejeter l'action en garantie de M. X..., gynécologue obstétricien, condamné à réparer, à hauteur de 80 %, le préjudice subi par Mme Y..., victime, à la suite d'un accouchement le 18 décembre 1992, d'une phlébite cérébrale qu'il avait tardé à diagnostiquer, contre M. Z..., anesthésiste, la cour d'appel, statuant sur renvoi après l'arrêt de cassation du 28 avril 2011 (pourvoi n° 10-16. 230), ayant constaté, d'une part, que la pathologie était une suite de l'accouchement et non de l'anesthésie, d'autre part, que c'est M. X... qui assurait, en sa qualité de gynécologue obstétricien, le suivi de l'intéressée au sein du service de
« suites des couches », en a déduit que le diagnostic de phlébite cérébrale, qui relevait de sa compétence, incombait à lui seul sans que l'on puisse admettre que ce diagnostic devait être posé par M. Z...au seul motif que lui avaient alors été signalés ces maux, Mme Y...restant sous la surveillance du médecin obstétricien seul compétent pour contrôler toutes les suites de l'accouchement, avec leurs conséquences éventuelles, partant, sous sa seule responsabilité au regard, notamment, du diagnostic qui devait être posé plus précocement ;
Qu'en statuant ainsi, quand elle avait constaté que M. Z...avait été appelé au chevet de Mme Y...en raison de la survenance de céphalées et lui avait prescrit un neuroleptique pour les soulager, de sorte qu'il lui incombait de s'informer de l'effet de ce traitement, notamment aux fins de déterminer, en collaboration avec le gynécologue obstétricien, si ces troubles étaient en lien avec l'anesthésie ou avec l'accouchement, ce qui aurait pu permettre un diagnostic plus précoce, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations au regard des textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 avril 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne M. Z...aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. Z...; le condamne à payer à la société Macsf assurances et à Mmes A..., X... et B..., ès qualités, la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize mai deux mille treize. "
Civ, 1ère, 16 mai 2013, n°12-21338