Les pouvoirs du maire en matière d’urbanisme

Arrêt du Conseil d'Etat du 26 juin 2013   

 

Le maire d’une commune ne peut interrompre des travaux dès lors que ceux-ci sont conformes aux autorisations d’urbanisme en vigueur.

 C’est le sens de cet arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 26 juin dernier.

 En l’espèce, aux termes d’un arrêté en date du 29 décembre 1999, le maire de la commune de Boulogne-Billancourt a délivré à une société civile immobilière (SCI Danjou) une autorisation lui permettant de démolir un bâtiment, en vu de la réalisation d’un projet immobilier futur.

 L’année suivante, une déclaration de travaux concernant ledit projet a été établie par la SCI sans faire l’objet de la moindre opposition de la part du maire de la commune.

 Ce n’est que le 26 avril 2001, après avoir dressé un procès verbal d’infraction mentionnant la méconnaissance de multiples dispositions du plan d’occupation des sols (POS), que le maire a finalement pris un arrêté ordonnant l’interruption des travaux entrepris.

 Après avoir obtenu la délivrance d’un nouveau permis de construire, la société requérante a recherché en justice la responsabilité de l’Etat en vu d’obtenir réparation du préjudice résultant de l’illégalité de l’arrêté en date du 26 avril 2001.

 Par un jugement en date du 8 janvier 2009, confirmé par la Cour administrative d’appel le 3 août 2012, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté cette demande d’indemnisation.

 Aux termes de l’arrêt commenté, en date du 26 juin 2013, le Conseil d’Etat va, au contraire, considérer que « si le maire, agissant au nom de l’Etat en sa qualité d’auxiliaire de l’autorité judiciaire, peut interrompre des travaux pour lesquels a été révélée une infraction mentionnée à l’article L. 480-4 du Code de l’urbanisme résultant soit de l’exécution de travaux sans autorisation, soit de la méconnaissance des autorisations délivrées, il ne peut légalement prendre un arrêté interruptif pour des travaux exécutés conformément aux autorisations d’urbanisme en vigueur à la date de sa décision et ce même s’il estime que les travaux en cause méconnaissent les règles d’urbanisme et notamment le document local d’urbanisme ».

 Ainsi, dès lors qu’ils sont conformes aux documents d’urbanisme en vigueur, un maire ne peut légalement interrompre des travaux, quand bien même ceux-ci seraient contraires  à certaines dispositions du POS !

 

 

 

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 


 

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 novembre 2010 et 11 février 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SCI Danjou, dont le siège est au 1, rue Rembrandt à Paris (75008), représentée par son gérant ; la SCI Danjou demande au Conseil d'Etat :


1°) d'annuler l'arrêt n° 09VE01013 du 3 août 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0603294 du 8 janvier 2009 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 1 138 802 euros ou, à titre subsidiaire, la somme de 884 484 euros, augmentée des intérêts et des intérêts des intérêts, en réparation du préjudice résultant de l'illégalité de l'arrêté d'interruption de travaux du 26 avril 2001 pris par le maire de Boulogne-Billancourt au nom de l'Etat, et, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à lui verser les sommes ainsi réclamées ;


2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;


3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;


Vu le code de l'urbanisme ;


Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :


- le rapport de M. Samuel Gillis, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

 
- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;


La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Richard, avocat de la SCI Danjou ;


1. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, par un arrêté du 29 décembre 1999, le maire de Boulogne-Billancourt a délivré à la SCI Danjou une autorisation de démolir une partie des bâtiments situés au 80 rue d'Anjou, en vue de la réalisation d'un projet immobilier ; que, par un autre arrêté du 9 octobre 2000, le maire ne s'est pas opposé à une déclaration de travaux concernant le même terrain ; que, par un arrêté du 26 avril 2001, le maire, agissant cette fois au nom de l'Etat, après qu'il a été dressé procès-verbal d'infraction en application de l'article L. 480-1 du code de l'urbanisme, a ordonné l'interruption des travaux sur le fondement de l'article L. 480-2 du même code, au motif que ceux-ci n'étaient pas conformes aux autorisations d'urbanisme accordées ; qu'il a pris le 27 juin 2001 un nouvel arrêté d'interruption des travaux, alors que le chantier était toujours arrêté ; que les travaux ont repris, après l'obtention par la société requérante par arrêté du 8 septembre 2001 d'un permis de construire ; que, par un arrêt du 1er avril 2005, la cour d'appel de Versailles a jugé que les travaux étaient conformes aux autorisations accordées à la SCI Danjou et a relaxé son gérant des faits d'exécution de travaux non autorisés par un permis de construire ; que, par un jugement du 8 janvier 2009, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la demande d'indemnisation présentée par la SCI Danjou du chef des préjudices résultant, selon elle, de l'illégalité de l'arrêté du 26 avril 2001 ; que, par un arrêt du 3 août 2010, contre lequel la SCI Danjou se pourvoit en cassation, la cour administrative de Versailles a confirmé ce jugement ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 480-2 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'interruption des travaux peut être ordonnée soit sur réquisition du ministère public agissant à la requête du maire, du fonctionnaire compétent ou de l'une des associations visées à l'article L. 480-1, soit, même d'office, par le juge d'instruction saisi des poursuites ou par le tribunal correctionnel.(...) ; Dès qu'un procès-verbal relevant l'une des infractions prévues à l'article L. 480-4 a été dressé, le maire peut également, si l'autorité judiciaire ne s'est pas encore prononcée, ordonner par arrêté motivé l'interruption des travaux. Copie de cet arrêté est transmise sans délai au ministère public (...) " ; que l'article L. 480-4 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur, dispose que : " L'exécution de travaux ou l'utilisation du sol en méconnaissance des obligations imposées par les titres Ier, II, IV et VI du présent livre, par les règlements pris pour son application ou par les autorisations délivrées en conformité avec leurs dispositions, exception faite des infractions relatives à l'affichage des autorisations ou déclarations concernant des travaux, constructions ou installations, est punie d'une amende comprise entre 8 000 F et un montant qui ne peut excéder, soit, dans le cas de construction d'une surface de plancher, une somme égale à 40 000 F par mètre carré de surface construite, démolie ou rendue inutilisable au sens de l'article L. 430-2, soit, dans les autres cas, un montant de 2 000 000 F. En cas de récidive, outre la peine d'amende ainsi définie un emprisonnement de six mois pourra être prononcé. / Les peines prévues à l'alinéa précédent peuvent être prononcées contre les utilisateurs du sol, les bénéficiaires des travaux, les architectes, les entrepreneurs ou autres personnes responsables de l'exécution desdits travaux (...) " ;

 
3. Considérant que si le maire, agissant au nom de l'Etat en sa qualité d'auxiliaire de l'autorité judiciaire, peut, en vertu des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 480-2 du code de l'urbanisme, interrompre les travaux pour lesquels a été relevée, par procès-verbal dressé en application de l'article L. 480-1 du même code, une infraction mentionnée à l'article L. 480-4, résultant soit de l'exécution de travaux sans les autorisations prescrites par le livre IV du code de l'urbanisme, soit de la méconnaissance des autorisations délivrées, il ne peut légalement prendre un arrêté interruptif pour des travaux exécutés conformément aux autorisations d'urbanisme en vigueur à la date de sa décision et ce même s'il estime que les travaux en cause méconnaissent les règles d'urbanisme et notamment le document local d'urbanisme ;

4. Considérant que, pour estimer que la responsabilité de l'Etat n'était engagée que pour la période allant de l'édiction d'un premier arrêté interruptif de travaux, en date du 26 avril 2001, jusqu'au second arrêté interruptif de travaux, pris le 27 juin 2001, la cour administrative d'appel de Versailles s'est fondée sur la circonstance que l'arrêté du 27 juin 2001, pris sur la base d'un nouveau procès-verbal, en date du 21 juin 2001, avait, notamment, mentionné la méconnaissance de diverses dispositions du règlement du plan d'occupation des sols de la commune de Boulogne-Billancourt, puis en a déduit qu'il constituait une décision nouvelle qui n'était pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; que, toutefois, la cour a relevé par ailleurs, dans l'arrêt attaqué, que, ainsi que l'avait retenu la cour d'appel de Versailles statuant en matière correctionnelle dans son arrêt du 1er avril 2005, devenu définitif, les travaux exécutés par la SCI Danjou étaient conformes aux autorisations qui lui avaient été accordées ; qu'il résultait de ces constatations que le maire de Boulogne-Billancourt ne pouvait pas légalement ordonner l'interruption des travaux, même s'il estimait que ceux-ci contrevenaient à certaines dispositions du plan d'occupation des sols de la commune ; que, par suite, la cour a commis une erreur de droit en retenant que l'arrêté du 27 juin 2001 n'était pas entaché d'illégalité et n'avait pas pu ainsi engager la responsabilité de l'Etat pour la période postérieure à son édiction ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la société requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ;


5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros à la SCI Danjou au titre de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :

--------------
Article 1er : L'arrêt du 3 août 2010 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.

 

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles.


Article 3 : L'Etat versera à la SCI Danjou une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

 Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SCI Danjou et à la ministre de l'égalité des territoires et du logement.

Retour


Actualités juridiques