Le droit au recours en danger : l'ordonnance DUFLOT du 18 juillet 2013

 Le Conseil des ministres du 17 juillet 2013 a adopté une ordonnance relative au contentieux de l’urbanisme et présentée par Cécile Duflot avec pour objectifs avoués de « lutter efficacement contre les recours manifestement malveillants et réduire les délais de traitement des litiges dans le domaine de l’urbanisme. »

Cette ordonnance est la concrétisation d’une des mesures du Plan d’investissement pour le logement, présenté par le président de la République le 21 mars 2013.

Celle-ci est rentrée en vigueur le 19 août 2013 et l’intégralité des dispositions est applicable aux procédures contentieuses en cours. Deux mesures complémentaires concernant la réduction des délais de traitement, d’ordre réglementaire doivent être mises en œuvre par décret prévu en septembre.

 La lecture de cette ordonnance ne peut que laisser dubitatif les pratiquants du droit de l’urbanisme au regard des conclusions du rapport de la Commission LABETOULE du 14 mai 2013 qui envisageaient notamment d’accélérer les délais et le traitement des contentieux en matière d'urbanisme, ainsi qu'à prévenir les recours dits abusifs contre les autorisations d'urbanisme, "tout en préservant le droit au recours, de valeur constitutionnelle, dans l'objectif de faciliter la réalisation d'opérations d'aménagement et de construction de logements".

 

Deux objectifs revendiqués par l’Etat 

 

Lutter efficacement contre les recours abusifs 

Objectif n°1 :

 

Le gouvernement est parti du postulat bien réel que certains recours malveillants ont pour effet de bloquer de nombreux projets de construction de logements.

Pour limiter ces recours, l’ordonnance présentée par Cécile Duflot vient encadrer l’intérêt à agir du requérant dans le temps et dans l’espace. Ainsi, un recours ne sera recevable qu’à partir de la date d’affichage du permis de construire en mairie et que si la construction est de nature à affecter les conditions d’occupation, d’utilisation et de jouissance des biens du requérant (nouveaux articles du code de l’urbanisme L 600-1-2 et L 600-1-3).

Pourquoi avoir fixé la date d’affichage en Mairie alors que le délai de recours à l’encontre d’un permis de construire est décompté à compter de l’affichage sur le terrain dudit permis : mystère…

De plus, la rédaction trop générale de ces articles risque naturellement d'engendrer de nombreux débats doctrinaux et jurisprudentiels sur l’interprétation des « conditions d’occupation, d’utilisation et de jouissance des biens », termes qui différent fondamentalement avec la jurisprudence antérieure applicable en la matière.

Ensuite et pour tenter de « dissuader les recours malveillants », l’ordonnance permet au juge de condamner le requérant « qui a exercé un recours dans des conditions qui excèdent la défense de ses intérêts » à verser des dommages et intérêts au bénéficiaire d’un permis de construire, s’il estime que celui-ci a subi un préjudice excessif qu’il devra solliciter par le biais d’un mémoire séparé (article L 600-7 du code de l’urbanisme).

Ce nouvel article est particulièrement truculent puisqu’il semble évident que la quasi-totalité des pétitionnaires victimes de recours à l’encontre de leurs permis sont persuadés qu’il s’agit de recours abusifs car il est évident que leur autorisation contestée est légale puisque délivrée par des autorités administratives très compétentes en la matière…

 Nul doute que tous les pétitionnaires contestés vont tenter  introduire ce type de recours indemnitaire en marge de l’action principale avec pour conséquence non pas d’obtenir lesdits dommages et intérêts mais de ralentir un peu plus la juridiction administrative dans le traitement de leurs dossiers !!!

 

De plus, il sera difficile voire impossible pour le praticien de qualifier ce type nouveau de recours consistant pour la juridiction administrative de condamner des personnes privées à payer des dommages et intérêts à d’autres personnes privées et surtout d’en fixer objectivement le quantum.

 À noter que l’ordonnance de Cécile Duflot précise que les associations de protection de l’environnement, bénéficient, compte tenu de l’objectif qu’elles poursuivent, d’un régime de protection particulier fondé sur la présomption que leurs recours obéissent, par principe, à un motif d’intérêt général (article L 600-7 du code de l’urbanisme in fine).

 Il est probable que de nombreuses associations de protection de l’environnement vont se créer dans les jours qui viennent…

Autre disposition nouvelle sensée permettre de « faire la transparence » sur les transactions qui aboutissent à un désistement du requérant : ces transactions devront désormais faire l’objet d’une déclaration auprès de l’administration des impôts,

 En cas de carence, le texte prévoit qu’une transaction non enregistrée est réputée sans cause et les sommes versées ou celles qui correspondent au coût des avantages consentis sont sujettes à répétition.

L’action en répétition se prescrit par cinq ans à compter du dernier versement ou de l’obtention de l’avantage en nature afin de dissuader les chantages pouvant être exercés par un requérant de mauvaise foi, tout en préservant la possibilité d’une transaction lorsque celle-ci est légitime (article L 600-8 du code de l’urbanisme).

Quid du caractère confidentiel de l’éventuelle transaction et de la mention des dispositions de l’article 2044 du code civil ? Le pétitionnaire ne serait-il pas extrêmement lui-même d’une totale mauvaise foi s’il se prévalait de telles dispositions dés lors qu’il signe un protocole transactionnel ?

De magnifiques questions qui seront sans nul doute posées au contentieux.      

 

Réduire les délais de traitement des contentieux

Objectif n°2 :

 

Cette ordonnance vise aussi à réduire les délais de traitement des contentieux de l’urbanisme.

On eût pu apprécier la création de chambres hyperspécialisées de l’urbanisme dans les différents tribunaux et Cours Administratives d’appel qui rendraient des jugements à une allure dite « normales », c'est-à-dire entre 3 et 4 mois qui seules résoudraient tous les problèmes liés aux pratiques critiquées.

Mais non, on a trouvé une autre solution nuisant encore plus au droit constitutionnel du droit au recours consistant à la possibilité pour le porteur de projet d’urbanisme de désormais régulariser son permis de construire en cours d’instance. Le pétitionnaire pourra ainsi apporter les modifications nécessaires pour assurer la légalité de l’autorisation d’urbanisme, sans reprendre la procédure dans son ensemble et ce, à la demande du magistrat administratif !!! (voir articles L 600-5 et L 600-5-1 du code de l’urbanisme)

Cette réforme, au prétexte de l’efficacité, risque en effet de créer plus de difficultés qu’elle n’en résout.

 Suite au prochain épisode…

 

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