CJUE, 8e chambre, 12 mars 2020, aff. C-932/18 : JurisData n°2020-004972
Aux termes d’un arrêt du 12 mars 2020 (8e ch. Aff. 832/18), la Cour de justice de l’Union Européenne précise le droit à indemnisation de passagers ayant subi un retard ou l’annulation de vol.
En s’appuyant sur le règlement CE n°261/2004, la Cour distingue l’indemnisation tirée du retard ou de l’annulation du vol initial du vol de réacheminent.
En effet, selon l’article 5 § 1 sous a) du règlement n°261/2004 lu conjointement avec l’article 8 §1 du même règlement, en cas d’annulation d’un vol, les passagers concernés se voient proposer par le transporteur aérien trois formes d’assistance différentes :
- Le remboursement du billet assorti le cas échéant d’un vol retour vers leur point initial
- Un réacheminement vers leur destination finale dans les meilleurs délais
- Un réacheminement à une date ultérieure à leur convenance sous réserve de la disponibilité des sièges
En l’espèce, des passagers ont été victimes de l’annulation d’un vol partant de Helsinki et à destination de Singapour. La société Finnair, transporteur effectif, propose à ses clients un vol de réacheminement via Chonquing (Chine).
Cependant les passagers qui ont accepté de prendre le second vol vont subir un nouveau retard.
L’origine de ce retard proviendrait d’une défaillance d’une servocommande de gouverne de l’appareil.
Les victimes ont alors formé un recours devant le tribunal de première instance d’Helsinki (Norvège) contre la société Finnair. Une première demande d’indemnisation de 600 € est formée pour l’annulation du vol initial Helsinki-Singapour ainsi qu’une seconde demande de 600€ en raison du retard de trois heures du vol de réacheminent.
Suivant un jugement de première instance du 21 juin 2017, la juridiction finnoise rejette les conclusions indemnitaires au titre du vol de réacheminement. Dès lors, les passagers interjettent ce jugement devant la Cour d’appel d’Helsinki qui octroie l’indemnisation pour le retard du vol de réacheminement.
<>Le transporteur effectif conteste et la Cour d’appel décide de surseoir à statuer en posant deux questions préjudicielles au juge de l’Union.
La question du cumul d’indemnisation
- L’indemnisation au regard de l’annulation du vol initial
Tout d’abord la Cour constate que malgré l’acceptation du vol de réacheminement, le droit à indemnisation demeure en raison de l’annulation du premier vol au regard du règlement CE n°261/2004.
- L’indemnisation supplémentaire en raison du retard du vol de réacheminement
En ce qui concerne le vol de réacheminent, la question est inédite. Après l’acceptation du vol de réacheminement, les passagers sont victimes d’un nouveau retard.
Dès lors, la Cour affirme que le règlement n°261/2004 ne limite pas le droit des passagers se trouvant en situation de réacheminement. Ils peuvent donc bénéficier d’une nouvelle indemnisation pour le retard du vol de réacheminent.
Les seules conditions tiennent au fait que les passagers sont régulièrement enregistrés et que le retard est supérieur à trois heures.
Le cumul d’indemnisation est donc possible. Ce sont deux vols distincts qui justifient deux droits à indemnisation indépendants.
Les limites du cumul d’indemnisation pour éviter la surprotection des passagers
Le cumul d’indemnisation ne peut s’appliquer pour un même vol. Il concerne uniquement le transporteur effectif pour deux vols différents. Si les passagers s’adressent à l’organisateur de voyages pour obtenir le remboursement de leurs billets d’avion, ils n’ont pas la possibilité de demander également un remboursement auprès d’un transporteur aérien.
La CJUE a énoncé dans un arrêt du 11 juillet 2019, Aegean Airlines (aff. C-163/18, HQ e.a : JurisData n°2019-012305), qu’un tel cumul serait de nature à conduire à une surprotection injustifiée des passagers au détriment du transporteur aérien.
L’exonération du transporteur selon des circonstances extraordinaires
Dans plusieurs jurisprudences, la Cour de Justice de l’Union Européenne a déclaré qu’en application du règlement n°261/2004, une exonération est prévue pour le transporteur aérien lorsque le retard est dû à des circonstances extraordinaires tenant à la défaillance d’une pièce.
Ces circonstances extraordinaires ont été définies comme étant des événements, qui par leur nature ou leur origine ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappant à la maîtrise de celui-ci. (CJCE, 22 déc. 2008 , aff. C-549/07, Wallentin-Hermann).
A l’inverse, cette exonération est impossible si les événements sont intrinsèquement liés au système de fonctionnement de l’appareil (CJUE, 4 mai 2017, C-315/15) ou sur lesquels la compagnie peut avoir une véritable influence (ex : grève – CJUE, 17. Avril 2018, aff. C-195/17)
Dans le cas d’espèce, le juge de l’Union a considéré que la défaillance d’une pièce que le transporteur aérien s’est préparé à changer en conservant une de rechange constitue un événement qui est inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien. Ainsi la société Finnair n’a pu se prévaloir de cette exonération et a été dans l’obligation d’indemniser les passagers une seconde fois.
Cette jurisprudence reste d’autant plus intéressante qu’elle sera à tempérer avec toutes les mésaventures des voyageurs pendant ou après la crise sanitaire…