#Balancetonporc : entre diffamation et bonne foi

Par un arrêt récent rendu le 31 mars 2021, la Cour d’appel de Paris a précisé les conditions dans lesquelles une femme, accusée d’avoir tenu des propos diffamatoires relatif à un harcèlement sexuel, pouvait se défendre en apportant la preuve de sa bonne foi.

En l’espèce, le 13 octobre 2017, la journaliste française Sandra M. a mis en ligne, sur son compte Twitter, la publication suivante :

« Tu as de gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit » Eric Brion ex-patron de Equidia #balancetonporc »

Suite à cette publication et à sa médiatisation, Monsieur B. a assigné Madame M. et sa société éditrice en diffamation.

Le 25 septembre 2019, le Tribunal de grande instance de Paris a retenu le caractère diffamatoire des propos tenus par Madame M., mais a écarté l’exception de vérité, en l’absence de jugement pénal définitif condamnation Monsieur B. pour harcèlement sexuel envers la journaliste, ainsi que l’excuse de bonne foi.

En conséquence, Madame M. et la société d’édition ont été solidairement condamnées au paiement d’une somme de 15.000,00 € de dommages-intérêts au bénéfice de Monsieur B. ainsi qu’à la réalisation de certaines actions (retrait des propos diffamatoires de Twitter, communication de la décision judiciaire au public…).

Madame M. et la société ont interjeté appel de la décision.

Le 31 mars 2021, la Cour d’appel a retenu le caractère diffamatoire des propos de Madame M., et le bénéfice de la bonne foi. Par ailleurs, la Cour conclut que le prononcé d’une condamnation à l’encontre de Madame M. constituerait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et serait de nature à emporter un effet dissuasif pour l’exercice de cette liberté.

En conséquence, la Cour d’appel a infirmé la décision rendue par le tribunal en toutes ses dispositions et a débouté Monsieur B. de l’intégralité de ses demandes.

La diffamation et les moyens de défense

En France, la diffamation est une allégation ou l'imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur et à la considération d'une personne. Elle est dite publique dès lors qu’elle peut être entendue ou lue par un public étranger aux faits, ce qui est notamment le cas pour une publication sur internet (Facebook, Twitter et autre réseau social) depuis un compte accessible à tous.

La personne accusée de diffamation peut cependant échapper à une condamnation, soit par l’exception de vérité, soit par la bonne foi.

L'exception de vérité

L’exception de vérité consiste, pour la personne accusée de diffamation, de prouver la véracité des faits allégués. Il convient alors de rapporter une preuve de la vérité des faits dite parfaite, complète et corrélative aux imputations dans toute leur portée.

La bonne foi

La bonne foi, quant à elle, suppose la réunion de quatre conditions :

  1. La prudence et la mesure dans les propos exprimés ;
  2. L’absence d’animosité personnelle avec la cible des propos ;
  3. La poursuite d’un but légitime (par exemple, le fait d’informer sur un scandale sanitaire) ;
  4. Une base factuelle suffisance (par exemple, le fait qu’un journaliste ait réalisé une enquête sérieuse, ait vérifié ses sources et dispose de bases solides pour fonder ses propos, même s’il s’est trompé au final).

L’appréciation de la Cour d’appel

En l’espèce, la Cour d’appel a pris en considération les circonstances de fait pour retenir, tout d’abord, le caractère diffamatoire des propos de Madame M. et, ensuite, sa bonne foi, faisant échec à toute condamnation.

Concernant le caractère diffamatoire des propos, la Cour d’appel retient que Madame M. a allégué un fait de harcèlement sexuel (au sens commun) qui, même s’il n’est pas pénalement répréhensible à la date du tweet, reste contraire aux règles morales admises de la société. Par ailleurs, Madame M. a clairement attribué ces propos inapproprié à Monsieur B.

En conséquence, la Cour d’appel a retenu le caractère diffamatoire de ces propos, considérés comme « attentatoires à l’honneur ou à la considération » de Monsieur B., à qui ils sont attribués.

Concernant l’exception de vérité, Madame M. et la Société ont dénoncé le nom de plusieurs témoins, qui ne se sont pas présentés, et ont produit plusieurs pièces, jugées insuffisantes pour rapporter la preuve parfaite des faits allégués.

En conséquence, la Cour d’appel n’a pas retenu l’exception de vérité.

Et concernant la bonne foi, Monsieur B. considère que Madame M. a agi dans un but illégitime, à savoir celui de l’humilier et de l’exposer en public, avec animosité personnelle.

Telle n’est pas la vision retenue par la Cour d’appel.

La Cour d’appel considère que, même si les termes « balance » et « porc » peuvent sembler violents, ils restent suffisamment prudents, ayant pour objectif d’englober un certain nombre de comportement attentatoire et d’ouvrir le débat entre les internautes. Ainsi, Madame M. a fait suffisamment preuve de prudence et de mesure pour se prévaloir de la bonne foi.

Aussi, la Cour retient que les propos de Madame M. s’inscrivent dans un débat d’intérêt général, à savoir celui de la libéralisation de la parole des femmes victimes d’agressions ou de harcèlement sexuel. Ce mouvement avait, d’ailleurs, débuté quelques jours plus tôt avec l’affaire W., entraînant la publication de nombreux articles et dénonciations médiatisées dans le monde. Et, sous réserve que les accusations ne soient pas mensongères, l’appel à la dénonciation d’agressions sexuelles ou sexistes est légitime pour la Cour d’appel.

Ensuite, la Cour d’appel considère qu’il n’y a pas d’animosité personnelle de Madame M. à l’égard de Monsieur B. au sens du droit de la presse, à savoir un mobile dissimulé ou de considérations extérieures au sujet traité.

Et pour finir, la Cour d’appel considère que Madame M. s’appuie sur une base factuelle suffisante et précise :

« Si la règle générale est que lorsqu’une personne s’exprime, elle doit disposer dès ce moment-là des éléments suffisants lui permettant de le faire, il en va différemment au cas présent où les propos allégués n’ont pas été tenus en présence de tiers et où les explications ultérieurement données par Eric B. confirment au moins pour partie les déclarations de Sandra M.. »

Ainsi, la Cour d’appel a fait preuve d’une certaine flexibilité dans son appréciation, permettant d’attester l’existence d’une base factuelle suffisante pour fonder les propos de Madame M., a posteriori. Par exemple, des déclarations de Monsieur B. datées de décembre 2017, octobre 2018, mai 2019 et dans son livre publié en 2020 ont été retenues par les juges pour considérer qu’il avait, au moins pour partie, confirmé les déclarations de Madame M., pourtant réalisées en octobre 2017.

Par cette décision, la Cour d’appel semble prendre en considération les circonstances in concreto dans lesquelles des propos ont pu être tenus, pour fixer son degré d’exigence relatif à la base de faits sérieux étayant les propos jugés diffamatoires. En l’espèce, l’absence de témoin et l’oralité des propos semblent avoir justifié un assouplissement du mode de preuve, au bénéfice de Madame M..

Par ailleurs, la Cour d’appel a conclu sa décision par :

« Si les juridictions ne doivent pas cautionner les débordements qui peuvent survenir sur les réseaux sociaux, elles ne peuvent statuer que sur les faits qui leur sont soumis.

Même si Eric B. a pu souffrir d’être le premier homme dénoncé sous le #balancetonporc, le bénéfice de la bonne foi doit être reconnu à Sandra M., dès lors que son tweet (…) ne contenait pas l’imputation d’avoir commis un délit pénal et qu’il a été publié dans le cadre d’un débat d’intérêt général sur la libération de la parole des femmes, avec une base factuelle suffisante quant à la teneur des propos attribués à Eric B.

Dans de telles conditions, le prononcé d’une condamnation, même seulement civile, porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et serait de nature à emporter un effet dissuasif pour l’exercice de cette liberté. »

Ainsi, la Cour d’appel justifie aussi sa décision par la nécessité de protéger la liberté d’expression et d’éviter toute conséquence néfaste à son exercice.

Il s’agit donc incontestablement d’une décision favorable à la prise de parole des victimes d’agressions ou d’atteintes sexuelles, sous réserve de pouvoir rapporter la preuve, pour ces victimes, de leur bonne foi.

Il est à noter que cette décision, rendue par la Cour d’appel de Paris, peut encore faire l’objet d’un pourvoi en cassation, susceptible de remettre en cause sa portée.

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