La réparation des dommages corporels résultant d'accidents, notamment ceux survenus sur la voie publique, nécessite dans certains cas, en sus d'une indemnisation pécuniaire, la mise en place d’un ensemble de moyens humains permettant aux personnes handicapées d’effectuer les gestes devenus impossibles à réaliser : c’est ainsi qu’est défini le mécanisme de la tierce personne.
Ces dépenses liées à l’assistance permanente d’un tiers pour aider la victime handicapée à effectuer les actes de la vie quotidienne, préserver sa sécurité, contribuer à restaurer sa dignité ou encore suppléer à sa perte d’autonomie, constituent, selon la nomenclature DINTILHAC, des dépenses permanentes autonomes qui ne se confondent pas avec les frais temporaires que la victime peut être amenée à débourser durant la maladie traumatique.
L’indemnisation est octroyée sous forme de rente ou de capital selon un protocole transactionnel ou l’appréciation souveraine des juges du fond.
Sur le papier tout est clair mais de manière empirique la détermination de ce poste de préjudice n’est pas chose aisée, d’une part car en vertu du principe de la réparation intégrale il s’agira de replacer la victime dans une situation aussi proche que possible de celle qui aurait été la sienne si le fait dommageable ne s’était pas produit et d’autre part car ce type de préjudice non économique exclu toute évaluation forfaitaire.
La pierre angulaire de cette évaluation est l’expertise médicale de la victime, expertise délicate pour le médecin-expert car dans le cadre de l’évaluation du poste de préjudice de la tierce personne, ses missions dépasseront le seul champ médical afin d’appréhender un concept juridique très lié au handicap.
Qu'est ce qu'est concrètement la tierce personne ?
Cette notion de tierce personne est apparue pour la première fois dans une loi datant du 31 mars 1919 prévoyant qu'une majoration de la pension peut être accordée « aux invalides que leurs infirmités rendent incapables de se mouvoir, de se conduire ou d'accomplir les actes essentiels de la vie (étant alors) obligés de recourir de manière constante aux soins d'une tierce personne ». Dans ce cas, l'intéressé avait l'obligation de renoncer au droit d'hospitalisation (Code des pensions militaire, article L.18).
Aujourd’hui le statut de l’aidant est essentiellement régi par la législation sociale, notamment par les articles L.245-12 du Code de l'Action Sociale et des Familles et L.7231-1 et suivants du Code du travail qui en précisent le mode de rémunération, ou encore l’autonomie financière.
La tierce personne se définit par l’ensemble des moyens humains permettant aux handicapés d’effectuer les gestes devenus impossibles dans leur vie relationnelle.
Ainsi, même si rien n'exclu que cette aide soit apportée par un étranger au cercle familial professionnel ou non, spécialisé ou non, une enquête menée par l'INSEE dénommée Handicaps-Incapacités-Dépendances démontre que dans la majorité des cas ce rôle sera exercé par un proche de la famille comme par exemple un membre de la famille.
Néanmoins lorsque l’aidant est un membre de la famille, la Cour de cassation par une décision, désormais de principe, est venue préciser qu’au visa de 1382 du Code civil l’indemnisation ne peut être réduite en cas d’assistance familiale, écartant ainsi toute tentation des juridictions du fond de réduire l’indemnisation en vertu des principes civils d’assistance et de secours notamment entre époux (Cass. Civ. 2ème, 19 mars 1997).
Sa mission
Sa mission est d'aider la personne handicapée à effectuer les gestes de la vie courante devenus impossibles comme par exemple les gestes nécessaire aux soins corporels, l'habillage, la préparation des repas, etc…D’un point de vue juridique cette mission doit permettre à la personne handicapée d'exercer ses droits inaliénables issus du concept de dignité tel que le droit à la sécurité, à la liberté, à l'éducation, à la formation et au travail, et notamment le droit à la vie privée et familiale.
Sa rémunération
Sa rémunération dépend du degré de sa qualification et de sa technicité. Ainsi, la rémunération de base pour la simple assistance et la surveillance relatives aux actes ordinaires de la vie courante est en principe celle du SMIC augmenté des charges patronales ou celle du taux horaire de base retenu par les organismes sociaux.
Dans le cas d'une assistance spécialisée, la rémunération est à évaluer conformément aux salaires minima fixés par les conventions collectives régissant le personnel qualifié (en principe supérieurs au SMIC) augmentés des charges patronales, toujours sous réserve de réduction ou d'exonération de charge.
La fiscalité des rentes
L'article 81-9°-bis du CGI dispose que les rentes viagères servies en représentation de dommages et intérêts en vertu d'une condamnation prononcée judiciairement (ou en exécution d'une transaction en application de la loi n° 85-677 du 5 juill. 1985) pour la réparation d'un préjudice corporel doivent être affranchies de l'impôt sur le revenu lorsque ce préjudice a entraîné pour la victime une incapacité permanente totale l'obligeant à avoir recours à l'assistance d'une tierce personne pour effectuer les actes ordinaires de la vie.
Les charges patronales
Pour ce qui est des charges patronales, relatives aux salaires des tierces personnes, une exonération ou une limitation (autour de 8 %) est prévue pour les seuls employeurs individuels et dans les conditions exposées aux articles L. 241-10 et L. 241-11 du Code de la Sécurité Sociale.
D'autres dispositions allégeant les charges des handicapés lourds ont été prises par le législateur, concernant les emplois familiaux.
Le versement du salaire
L'indemnisation n'est pas subordonnée à la production de justifications des dépenses effectuées, dès lors que l'assistance d'une tierce personne s'avère nécessaire (Cass. Crim., 11 oct. 1988 et 13 déc. 1988).
De son côté l'article R. 211-37 du Code des assurances n'exige pas que la victime d'un accident de la circulation fournisse cette preuve à l'assureur pour l'offre d'indemnisation.
Néanmoins si le salaire est dû, les charges patronales, ne le sont que sur présentation d'un justificatif de paiement par l'employeur (Cass. Civ. 2ème, 14 oct. 1992).
Comment évaluer le besoin d'une tierce personne ?
D'abord la victime doit démontrer l'existence d'une situation particulière et d'éléments spécifiques, précis et effectifs non médicaux, nécessitant des besoins d'une tierce personne.
Cette situation résultera le plus souvent du fait que la personne connait, suite à l’accident, une perte d’autonomie.
Ensuite, l’évaluation se fera par le médecin-expert.
Cette évaluation se déroule en trois temps :
- au stade lésionnel,
- au stade fonctionnel,
- au stade situationnel.
L'évaluation au stade lésionnel permet les prévisions médico-légales.
L’évaluation au stade fonctionnel, qui est réalisée le plus souvent en fin du séjour de la victime au centre de rééducation, doit permettre un avis prévisionnel portant sur l'assistance technique et l'aide humaine. Cette étape est essentielle car c'est dès cette étape que sont envisagés, par exemple, les besoins en aménagement du domicile pour le retour de la personne handicapée ou l'aménagement d'autres lieux de vie adaptés à celle-ci.
Enfin, l'évaluation au stade situationnel est plus pragmatique car, outre les aménagements envisagés précédemment, il s'agit de s'intéresser à l'environnement du blessé afin de permettre de possibles réajustements et finaliser le projet de vie.
Au cours des différents examens médicaux et plus particulièrement au stade situationnel, l'expert a de multiples sujets d'études : si l'évaluation des incapacités est nécessaire à la détermination de la tierce personne, l'expert va, pour ce faire, retracer de la manière la plus descriptive possible le déroulement habituel d'une journée de la personne handicapée en interrogeant la victime et ses proches. Cette description doit permettre de déterminer l'organisation de la vie de la victime, les modes de satisfaction de ses besoins y compris la qualité du ou des intervenants considérés comme tierces personnes.
Lorsque l'expertise a été menée sur des aspects qualitatifs, le médecin procède ensuite à une analyse quantitative portant sur le temps nécessaire à la tierce personne dans la réalisation de ses tâches, principalement celles consacrées aux actes élémentaires de la vie quotidienne qui se révèlent à l'analyse, extrêmement nombreux : en premier lieu, il s'agira du transfert de la victime et de son installation ; en deuxième lieu, il s'agira des soins corporels, de l'habillage, de la prise alimentaire en dehors de la préparation des repas ; en troisième lieu, le médecin évaluera les besoins en temps nécessaire à l'exonération sphinctérienne, anale et vésicale ; à cette liste non limitative, il conviendra enfin d'évaluer les besoins relatifs aux activités domestiques, aux activités de loisirs ou autres besoins répétitifs non programmables.
Ce processus d’évaluation technique n’est pourtant pas sans défaut, certains auteurs estiment que ce processus d’évaluation connaît des limites qui réduisent d’autant l'efficacité de l'expertise (La question de la tierce personne et du « grand handicapé » : les limites actuelles de l’expertise médicale par Virginie SCOLAN et Frédérique FIECHTER-BOULARD).
C’est limites tiennent tant au caractère figé de l’expertise qui ne s’effectue qu’à un instant T dans un lieu donné, généralement au domicile de la personne handicapée, voire du cabinet médical, sans tenir compte d’une possible évolutions des besoins dans le temps. L’examen n’étant, en outre, réalisé que par le seul médecin sans présence de personnes aptes à préciser les modalités de l'assistance technique ou humaine nécessaire.
Pour y remédier ces mêmes auteurs proposent, la mise en place de classifications comme grilles de lecture qui serviraient lors de l’évaluation expertale en dressant des listes très descriptive et relativement exhaustive des activités, participations et habitudes de vie que peut avoir un individu, d’autre part au travers de la mise en place d’une évaluation en collégialité par une équipe pluridisciplinaire regroupant autour du patient plusieurs professionnels médicaux et paramédicaux.
Dans tout les cas, il n’est pas contestable qu’une juste évaluation de ce poste de préjudice permet d’améliorer l’accompagnement structurel des personnes lourdement handicapée et de leur famille.
Jimmy IMPINNA
Sous le contrôle de Maître Jean-Mathieu LASALARIE