Pas d’indemnisation de la perte de chance de vie

Réparation intégrale des souffrances physiques et morales


Crim. 26 avr 2013, n° 12-82.600

 

Suite à un accident de la circulation ayant causé la mort d’une jeune fille de seize ans, les premiers juges ont déclaré le responsable tenu à réparation intégrale des souffrances physiques et morales endurées par la victime avant son décès, de celles causées par la conscience de l’imminence de sa mort mais également du préjudice résultant de son décès prématuré, ce dernier chef étant réparé par une indemnité égale à celle que la victime aurait perçue si elle était restée atteinte d’un déficit fonctionnel total.

 La Cour d’appel de Poitiers, dans un arrêt en date du 20 février 2012, a confirmé l’indemnisation due au titre du pretium doloris, la réduisant néanmoins à de plus justes proportions.

 Elle va, en revanche, rejeter la demande formulée au titre de la perte de chance de vie considérant que « le droit de vivre jusqu’à un âge statistiquement déterminé n’est pas suffisamment certain, au regard des aléas innombrables de la vie quotidienne et des fluctuations de l’état de santé de toute personne, pour être tenu pour un droit acquis, entré dans le patrimoine de celle-ci de son vivant et, comme tel, transmissible à ses héritiers ».

 Saisis par la mère de la victime d’un pourvoi en cassation, les juges du Quai de l’horloge vont confirmer cette position (Crim. 26 avr 2013, n° 12-82.600) , rejetant ainsi l’argumentation soutenue par la requérante qui estimait qu’en dépit des aléas de la vie, il était parfaitement envisageable d’indemniser cette perte de chance en se basant sur les tables de mortalité établies par l’INSEE, lesquelles prennent en considération les probabilités de décès prématurés et donc, par définition, les aléas de la vie.

 Si l’on s’en réfère à la définition classique de la perte de chance, envisagée comme la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable (Civ. 1e, 21 nov 2006, n°05-15.674), une telle argumentation aurait pu sembler séduisante.

 C’était toutefois ignorer le principe selon lequel, pour être transmissibles aux héritiers, les préjudices personnels subis par la victime directe doivent être nés dans son patrimoine avant son décès, ce qui n’est évidemment pas le cas de la perte de chance de vie !

 C’est donc en toute logique que la Cour de Cassation a confirmé la position adoptée par les juges du fond considérant que ces derniers avaient justifié leur position dès lors « qu’aucun préjudice résultant de son propre décès n’a pu naître du vivant de la victime dans son patrimoine et être ainsi transmis à ses héritiers ».

 Notons que, si l’indemnisation du préjudice résultant de la perte de chance de vie semble désormais exclue, la Cour de Cassation vient, en revanche, de confirmer la possibilité d’obtenir réparation au titre des souffrances morales endurées par la victime du fait de sa conscience de sa perte de chance de survie…

 

 

REPUBLIQUE FRANCAISE

 

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

 

 

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

 

Statuant sur les pourvois formés par :

 

- M. Denis X...,

- Mme Valérie Y...,

- Mme Vanessa X..., parties civiles,

 

contre l'arrêt de la cour d'appel de POITIERS, chambre correctionnelle, en date du 20 février 2012, qui, dans la procédure suivie contre M. Franck Z..., pour homicide involontaire, a prononcé sur les intérêts civils ;

 

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

 

Vu le mémoire commun aux demandeurs et le mémoire en défense produits ;

 

Attendu qu'à la suite de l'accident mortel de la circulation dont Cassandra X... a été victime à l'âge de 16 ans, et dont M. Z..., reconnu coupable d'homicide involontaire, a été déclaré tenu à réparation intégrale, les premiers juges ont indemnisé Mme Y..., en qualité d'héritière de sa fille, du fait, d'une part, des souffrances physiques et morales endurées par Cassandra X... avant son décès du fait de ses blessures ainsi que de la conscience de l'imminence de sa mort, et, d'autre part, du préjudice résultant de son décès prématuré, ce dernier chef étant réparé par une indemnité égale à celle que la victime aurait perçue si elle était restée atteinte d'un déficit fonctionnel total ; que, sur l'appel de l'assureur du prévenu, la cour d'appel a réduit l'indemnisation du premier chef et rejeté la demande du second ;

 

En cet état ;

 

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 et 731 du code civil, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale ;

 

" en ce que l'arrêt attaqué, a infirmé le jugement en ce qu'il avait condamné M. Z... à verser à Mme Y..., en sa qualité d'héritière de Mme X..., la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice de la douleur subi par la victime et a limité la condamnation de M. Z... au paiement de la somme de 5 000 euros au profit de Mme Y... ;

 

" aux motifs que, sur la demande fondée sur le préjudice de la douleur subi par Mme X..., il est constant que l'indemnisation d'un dommage n'est pas fonction de la représentation que s'en fait la victime mais de sa constatation par les juges et de son évaluation objective dans la limite de la demande dont ils sont saisis ; il est acquis en l'espèce que le décès de la jeune victime n'a pas été instantané, puisqu'elle a été éjectée de la voiture lors du choc et que son corps a été retrouvé plusieurs minutes après par Mme A..., qui a constaté qu'elle se trouvait allongée sur le dos avec son bras gauche désaxé, qui a pris son pouls qui était présent mais filant, les yeux étant ouverts en mydriase réactive ; le témoin a en outre constaté que la blessée émettait un râle et l'a changé de position, ce qui a entraîné un crachement de sang ; c'est donc à juste titre, au vu de ces éléments, que le tribunal a retenu que l'agonie de la jeune fille avait duré au moins une dizaine de minutes, que les derniers moments de sa vie avaient été particulièrement pénibles et que le principe de la réparation de la douleur devait être reconnu ; il convient cependant de limiter l'appréciation de ce préjudice à la somme de 5 000 euros dans la mesure où la douleur qu'a pu ressentir la jeune victime, a été particulièrement brève et très amoindrie par son absence de conscience provoquée par la violence du choc ;

 

" 1) alors que l'auteur d'un délit est tenu à la réparation intégrale du préjudice qu'il a causé ; que l'état d'inconscience d'une personne humaine n'excluant aucun chef d'indemnisation, son préjudice doit être réparé dans tous ses éléments ; qu'il ressort des constatations mêmes de l'arrêt que le décès de Mme X... n'a pas été instantané, que l'agonie de la jeune fille a duré au moins une dizaine de minutes et que les derniers moments de sa vie ont été particulièrement pénibles ; qu'en affirmant néanmoins, pour limiter l'indemnisation du préjudice de la douleur subi par Mme X... à la somme de 5 000 euros, que la douleur avait été amoindrie par son absence de conscience provoquée par la violence du choc, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations ;

 

" 2) alors que si les juges apprécient souverainement le préjudice résultant de l'infraction, il en va autrement lorsque cette appréciation est déduite de motifs contradictoires ; que la cour d'appel a limité la réparation du préjudice né de la douleur subi par Mme X... à la somme de 5 000 euros au motif que celle-ci avait été inconsciente à compter du choc violent causé par l'accident ; que, cependant, elle a relevé que l'agonie de la jeune fille avait duré au moins dix bonnes minutes et que les derniers moments de sa vie avaient été particulièrement pénibles, ce dont il s'évinçait que la victime avait été consciente après l'accident ; qu'en l'état de tels motifs contradictoires, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

 

" 3) alors que l'angoisse de l'imminence de la mort peut apparaître avant le choc causé par l'accident ; que les consorts X..., Y... et B... faisaient valoir que Mme X... avait eu conscience du caractère inéluctable de son décès bien avant le choc, à savoir au moment de l'abord du virage et de la perte de contrôle du véhicule par son conducteur ; qu'en retenant que la douleur qu'avait pu ressentir la jeune victime avait été particulièrement brève et amoindrie par son absence de conscience provoquée par la violence du choc, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la victime n'avait pas eu conscience de l'imminence de sa mort bien avant le choc, au moment où le conducteur avait commencé à perdre le contrôle de son véhicule, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;

 

Attendu que, pour réduire l'indemnisation du préjudice subi par la victime entre l'accident et son décès du fait de ses blessures et de l'angoisse d'une mort imminente, l'arrêt retient que l'agonie de la jeune fille a duré une dizaine de minutes et a été particulièrement pénible ;

 

Attendu qu'en statuant ainsi, par des motifs, procédant de son appréciation souveraine, la cour d'appel, qui a répondu comme elle le devait aux chefs péremptoires des conclusions des parties civiles, a justifié sa décision ;

 

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

 

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 et 731 du code civil, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale ;

 

" en ce que l'arrêt attaqué a infirmé le jugement en ce qu'il avait condamné M. Z... à verser à Mme Y..., en sa qualité d'héritière de Mme X..., la somme de 201 712, 06 euros au titre du préjudice de la perte de chance de vie de la victime et a débouté Mme Y... de cette demande ;

 

" aux motifs que sur la demande fondée sur le préjudice de la perte de chance de vie de la victime, les parents de la jeune victime invoquent le décès prématuré de leur fille comme étant constitutif d'une perte de chance de vie relative aux plaisirs de la vie, du travail ou de fonder une famille ; il est cependant constant que le droit de vivre jusqu'à un âge statistiquement déterminé n'est pas suffisamment certain au regard des aléas innombrables de la vie quotidienne et des fluctuations de l'état de santé de toute personne, pour être tenu pour un droit acquis entré dans son patrimoine de son vivant et, comme tel, transmissible à ses héritiers lorsque survient un événement qui emporte le décès ; il en résulte que le droit revendiqué par les héritiers de Mme X... et la créance qu'ils entendent en déduire sont inexistants et que le jugement entrepris doit être réformé sur ce chef de prétention, Mme Y... devant être déboutée de sa demande en paiement de la somme de 201 715, 20 euros ;

 

" alors que toute personne victime d'un dommage, quelle qu'en soit la nature, a droit d'en obtenir l'indemnisation de celui qui l'a causé ; que le droit à réparation du dommage résultant de la perte de vie, étant entré dans le patrimoine de la victime au moment de l'accident, se transmet à ses héritiers, lors de son décès ; que les consorts X..., Y... et B... faisaient valoir que s'il était effectivement difficile de retenir une espérance de vie déterminée, eu égard aux aléas de la vie, il n'était pas davantage possible d'exclure toute indemnisation de la perte de chance de vie sauf à remettre en cause le principe même du droit à réparation et ils demandaient, pour que soient pris en compte les aléas de la vie, une indemnisation de ce préjudice sur la base d'une capitalisation, reprenant ainsi les modalités de réparation des préjudices futurs ; qu'en se bornant à retenir que le droit de vivre jusqu'à un âge statistiquement déterminé n'est pas suffisamment certain au regard des aléas innombrables de la vie quotidienne et des fluctuations de l'état de santé de toute personne, pour être tenu pour un droit acquis entré dans son patrimoine de son vivant et, comme tel, transmissible à ses héritiers lorsque survient un événement qui emporte le décès, sans rechercher, comme elle y était expressément invitée, si, malgré les aléas de la vie, il n'était pas possible d'indemniser la perte de chance de vie en se référant à des barèmes de capitalisation prenant en considération les tables de mortalité établies par l'INSEE, lesquelles intégraient les probabilités de décès prématuré et donc les aléas de la vie, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision " ;

 

Attendu que, pour débouter les héritiers de leur demande d'indemnisation au titre de " la perte de chance de vie ", l'arrêt retient que le droit de vivre jusqu'à un âge statistiquement déterminé n'est pas suffisamment certain au regard des aléas innombrables de la vie quotidienne et des fluctuations de l'état de santé de toute personne, pour être tenu pour un droit acquis, entré dans le patrimoine de celle-ci de son vivant et, comme tel, transmissible à ses héritiers lorsque survient un événement qui emporte le décès ;

 

Attendu qu'en l'état de ces motifs la cour d'appel a justifié sa décision, dès lors qu'aucun préjudice résultant de son propre décès n'a pu naître, du vivant de la victime, dans son patrimoine et être ainsi transmis à ses héritiers ;

 

Que, dès lors, le moyen ne peut être admis ;

 

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

 

REJETTE les pourvois ;

 

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

 

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Radenne conseiller rapporteur, M. Arnould conseiller de la chambre ;

 

Greffier de chambre : M. Bétron ;

 

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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