Pas de référé en matière de climat ?

Par deux ordonnances identiques du 28 février 2023 (n°22/53942 et n°22/53943), le tribunal judiciaire de Paris a refusé de faire cesser les projets pétroliers d’une filiale de la société Total énergies en Ouganda et en Tanzanie, pourtant dénoncé par une résolution du Parlement européen.

Si la décision peut questionner d’un point de vue éthique, elle s’explique par la définition de l’office du juge des référés.

Les faits

Cette affaire est la première concernant les conséquences judiciaires potentielles relatives au devoir de vigilance.

Introduit par la loi n°2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, ce texte oblige, selon les articles L.225-102-4 et L.225-102-5 du Code de commerce, les sociétés de plus de 5000 salariés à établir et mettre en œuvre un plan de vigilance.

Il faut préciser qu’en cas de manquement à ces obligations, il est renvoyé à la responsabilité civile de droit commun.

Ainsi, la société Total Energies avait publié son plan de vigilance le 20 mars 2019. Par courrier du 24 juin 2019, six associations, ont dénoncé ce plan et mis en demeure la société, en dénonçant l’insuffisance de ce document et son absence de mise en œuvre effective.

Insatisfaites des réponses apportées par Total, le 29 octobre 2019, ces associations ont assigné la société Total énergies en référé pour que sa filiale Total Energies EP Uganda cesse ses projets pétroliers notamment la construction du plus grand oléoduc chauffé du monde.

La compétence du tribunal judiciaire de Paris fut établie en raison de l’adoption de la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 lui donnant compétence en matière de devoir de vigilance.

La décision

Les attentes en matière de justice climatique de la société civile ne seront toutefois pas satisfaites par ces ordonnances.

En effet, l’ensemble des demandes des associations ont été déclarées irrecevables.

Un argument technique soutient en premier lieu leur décision. En effet, les associations ont assigné la société Total Energies concernant le plan de vigilance de 2019. Or un second plan a été produit en 2021, sans qu’aucune mise en demeure le concernant n’ait été réalisée par les demanderesses.

Or, selon l’article L.225-102-4, II, alinéa 1er, si une société mise en demeure de respecter les obligations issues de son devoir de vigilance n’y satisfait pas pendant un délai de trois mois, toute personne justifiant d’un intérêt à agir peut saisir le juge. Dans son I alinéa 4, ce même article prévoit que le plan de vigilance a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société.

Dans leur ordonnance, les juges en font découler une phase obligatoire de dialogue et d’échange amiable. Si celle-ci n’est pas respectée, les demandes en justice concernant le plan de vigilance seraient irrecevables.

Cependant, cette approche permettrait à toute société mise en demeure d’échapper à une action en justice fondée sur son devoir de vigilance dès lors qu’elle émettrait un nouveau plan et imposerait alors une nouvelle mise en demeure assortie d’une obligation de conciliation. Elle peut donc être questionnée.

De manière plus incontestable, en second lieu, les juges des référés énoncent qu’ils ne peuvent procéder à une appréciation du caractère raisonnable des mesures adoptées par le plan de vigilance. Cette appréciation nécessite en effet un examen approfondi des éléments produits à la cause, ce qui ne relève pas des juges de l’évidence mais des juges du fond.

Ils rappellent donc que leur office concerne ce qui évident. La seule urgence ne peut justifier leur intervention dans une matière complexe nécessitant un travail d’analyse important.

Néanmoins, en filigrane, les juges font apparaitre leur critique sur l’état actuel du droit en la matière. Ils reprochent au législateur d’avoir « assigné ainsi des buts monumentaux » [à la loi n°2017-399 du 27 mars 2017] en « précisant a minima les moyens qui doivent être mis en œuvre pour les atteindre ».

Le régime du devoir de vigilance et son articulation avec le droit de la responsabilité civile devrait donc être remodelé pour être pleinement efficace.

Le fait qu’un projet puisse ou non menacer un parc naturel à l’étranger, et conduire à l’expulsion de plus de 100 000 personnes n’a aucune incidence juridique en l’état actuel du droit.

Dès lors, il semble que le juge des référés demeure un juge de l’urgence, mais pas de l’urgence climatique…

Le contentieux du référé civil est un domaine technique et en évolution.

C’est pour cette raison que notre cabinet spécialisé en droit de la responsabilité civile pourra au mieux prendre en charge votre dossier.

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